A la veille des premières éléctions parlementaires en Egypte après la révolution, la jeunesse égyptienne est déterminée défendre les valeurs démocratiques pour lesquelles ils sont sortis dans les rues il y à dix mois. Certains ont choisi la politique, d’autres se sont engagés dans l’action sociale pour construire l’Egypte de demain.
"L’avenir, c’est nous, les jeunes ! Nous ne devons pas laisser la vielle génération prendre le pouvoir", lance Mohammed al-Qassas, la trentaine, en distribuant son programme éléctorale dans un café au quartier d’Ain Shams. dans l’est du Caire. Mohamed a décidé de se lancer dans la politique au lendemain de la révolution. Il est candidat au sein du parti qu’il a lui-même fondé "al-Tayyar al-Masri" (le courant égyptien)*. Ce Frère musulman aurait pourtant eu l’occasion d’être candidat au parti "La Liberté et la Justice" de la confrérie, mais il a refusé catégoriquement. Il a même fait parti des jeunes Egyptiens qui se sont opposés à sa creation. "Pour moi, la confrérie aurait dû rester loin des jeux politiques et rester un groupe de pression pour assurer la démocratie", critique Mohamed.
La réaction de la confrérie n’a pas tardé : Le révolutionnaire de la première heure a été expulsé du jour au lendemain sans explications en raison de ses idées trop réformistes. "Je suis Frère musulman et je le resterai toujours. Mais les chefs actuels de la confrérie ne se montrent pas ouverts aux nouvelles idées qui ont muri dans la tête des jeunes qui étaient sur Tahrir. Le vrai problème de la confrérie c'est qu'elle est dirigée par la génération de 1965, qui est très bornée", poursuit-il.
A "al-Tayyar al-Masri", Mohamed prône tout l’inverse. Il veut que la jeunesse s’exprime. S’y retrouvent d’ailleurs des milliers d'Egyptiens dans son cas qui se battent pour les valeurs démocratiques défendues lors de la révolution. L'argument fort de Mohammed, c'est la diversité de ce parti qui ne suit pas une idéologie précise. "Nous représentons toutes les couleurs politiques. Il y a des libéraux, des socialistes, des centristes...".
Mais vouloir faire de la politique quand on est jeune sans un important réseau se rêvele être un vrai parcours du combattant, “nous n'avons pas beaucoup de moyens. Nous finançons notre campagne nous-même. Nous trouvons que c’est inacceptable que de grands hommes d'affaires achètent le parti", lance-t-il, fier de ce choix.
A ses côtés dans la campagne électorale, un autre rebelle comme lui. Khaled Salem, un salafiste de 36 ans, lui aussi candidat de à al-Tayyar al-Masri. Il a refusé d’adhérer, comme son ami, aux nombreux partis crées par les siens. "Les cheikhs de la veille génération ne sont pas au courant des changements de la société. Ils ne savent pas communiquer avec les autres et se sont refermés sur eux-même ces dernières années. Moi, j'ai la chance de fréquenter la société à travers mon travail, ça m'a permis de comprendre davantage les idées des autres".
Khaled a l'allure des salafistes traditionnels, un regard serieux et dur, les yeux baissés quand une femme le croise, mais son discours se veut plus réformateur : "Nos cheikhs sont parfois tellement fermés...Pendant la révolution, ils étaient contre les manifestations. Ils ne voulaient pas assumer la responsabilité des victimes au cas où la révolution échoue. Pour moi, c'est lâche. Il fallait s'opposer à ce régime qui a détérioré la vie des Egyptiens", confie-t-il calmement. Autre coup de gueule de Khaled, l’attitude des cheikhs traditionnels lors du référendum du 19 mars 2011 sur la constitution de la phase transitoire en Egypte : "Certains cheikhs ont utilisé les notions d'enfer et de paradis pour orienter les votes en leur faveur, ce n'est pas l'Islam. Désormais, ils continuent en affirmant que voter pour les libéraux ou les chrétiens aux législatives, c'est un péché. Tout cela montre bien qu'ils ne sont pas prêts pour la démocratie". Cette démocratie, Khaled, lui, est persuadé qu'elle arrivera tôt ou tard en Egypte : "On ne retournera jamais en arrière et ces salafistes vont finir par comprendre qu'ils n'ont qu'a accepter la volonté du peuple ou bien ils vont perdre définitivement la sympathie de la rue égyptienne".
Pour Khaled comme pour Mohamed, la question n'est pas de gagner ou de perdre les élections. Ils sont conscients de leur manque d'expérience et de moyens. Pour eux, l'important est de montrer que la jeunesse de Tahrir ne dort pas, qu'elle est prête à défendre la diversité politique, religieuse et culturelle en Egypte.
Loin de circuits politiques habituels, d'autres jeunes Egyptiens se sont engagés à faire fructifier l'esprit de Tahrir. Pour eux, la politique ne mène qu'à la rancune entre les différentes communautés et les politiciens ne cherchent que leur propre intérêt. Ce sont les "Salafistes de Costa". Un groupe d'amis musulmans très pratiquants qui avaient l'habitude de se réunir dans un café de la chaine internationale “Costa”, l'équivalent du "Starbucks" en France, avant la Révolution. Après la chute de Moubarak, ils ont eu l'idée d'inviter à leur rencontre d'autres Egyptiens ayant l'envie de faire partager leurs idées politiques. Ihab el-Kholy, l'un des responsables du mouvement, raconte : "On a voulu briser le mur de l'ignorance et de la peur qu'il y a parfois entre nous. Nous sommes tous Egyptiens et notre but doit être celui de servir notre pays". Des chrétiens les ont même rejoints. Ainsi est né "notre petite Egypte", un projet caritatif pour les Egyptiens dans le besoin.
A Ezbet el-Hagana, un quartier défavorisé, gangrené par les trafics en tout genre, dont la drogue, les Salafistes de Costa, rejoints par leurs nouveaux alliés, essaient d'aider cette population en organisant des convois médicaux, des cours d'alphabétisation et des ateliers d'artisanat. Ils tentent de monter de petites entreprises, sources de revenus pour les habitants. Chrétiens et musulmans, hommes et femmes, travaillent côte-à-côte pour faire de ce quartier un exemple de développement à suivre dans toute l'Egypte.
Le mouvement aurait pu fonder son propre parti politique. Mais les membres ont refusé catégoriquement cette idée. Ils ont même inscrits une clause dans leur règlement selon laquelle les fondateurs ne doivent pas appartenir à des partis politiques. "Dans le mouvement, nous nous mettons d'accord sur tous les projets de charité que nous réalisons. Si on est un parti politique, nous ne serons jamais honnêtes dans nos actions. L'intérêt personnel nous guidera forcément", explique Abeer, une jeune membre du mouvement, qui porte le niqab. "Mais les salafistes de Costa” peuvent servir comme groupe de pression, poursuit-elle, quand on organise une activité nous invitons les différents partis politiques à participer. Eux qui disent vouloir servir le peuple , nous leur offrons l'occasion de montrer ce qu’ils peuvent faire !"
Le groupe prône l’ouverture mais refuse pourtant d’abandonner la notion de salafisme. Un choix que même Bassem Victor, l'un des dix coptes du groupe qui compte une centaine de membre, défend : "Le mot salafiste signifie l'identité des fondateurs de ce groupe et leur volonté de garder leur croyance alors que Costa, cet endroit connu comme lieu de rencontre des libéraux en Egypte, montre le côté de l'ouverture vers l'Autre. Notre message est que nous pouvons co-exister sans abandonner notre croyance. C'est la première ligne de défense contre les conflits inter-confessionnels", explique-t-il.
Bassem en a conscience, il faudra du temps, peut-être des années, pour que les Egyptiens comprennent son message. Mais il reste optimiste : "Nous avons chaque jour de nouvelles personnes qui veulent adhérer à notre mouvement !"
*al-Tayyar al-Masri est un parti issu de la "Coalition des jeunes de la révolution", un front formé pour protéger les buts de la révolution égyptienne face aux partisans de l'ex-régime et aux partis existant avant la révolution. Il a été créé essentiellement par des jeunes cadres des Frères Musulmans expulsés de la confrérie car ils n'étaient pas d'accord avec les projets de leurs ainés. Très vite, d'autres jeunes - salafistes, socialistes, libéraux et centristes - ont rejoint le parti.
Article écrit pour le numéro 54 de la revue Le Courrier de l'Atlas (decembre 2011) (Photos Françoise Beauguion)
http://www.lecourrierdelatlas.com/emag/2012/NUM054/#/60/