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8 février 2013

Alaa al-Aswany : Le combat actuel se joue entre l’Egypte et les Islamistes

L'écrivain égyptien, célèbre pour son roman "L'Immeuble Yacoubian" (2002), a pris une part active dans la révolution de son pays en 2011. Il livre, sans détours, son analyse sur l'après Printemps arabe et les défis qui attendent l'Égypte. Entre optimisme et prudence.

 

AlaaVous aviez prévu l'explosion de la société égyptienne bien avant la révolution dans votre ouvrage "l'Immeuble Yacoubian". Que pensez-vous de ce qui se passe actuellement en Egypte?

 Une révolution signifie un changement profond non seulement au niveau politique mais aussi au niveau humain. Ce changement prend du temps. Je suis optimiste malgré la déception de constater la montée des islamistes et de leurs politiques fascistes, mais nous n’allons jamais reculer. L’Egypte ne sera plus jamais dirigée par un dictateur.

 Vous avez mentionné que l'Egypte traversait en ce moment la “troisième vague de la révolution”. Que voulez-vous dire par là?

 La révolution pour moi n’est pas un événement qui a une date précise. C’est un long processus qui sera achevé une fois que nous aurons obtenu les objectifs de la révolution. La première vague de la révolution égyptienne a été la chute du régime de Moubarak. La deuxième vague, c’est celle qui a fait chuter le Conseil Suprême des Forces Armées qui a dirigé le pays pendant 18 mois après Moubarak. La troisième vague a maintenant pour but de faire chuter les Frères Musulmans afin de construire un Etat civil.

 Faut-il que les Egyptiens renversent Mohamed Morsi comme ils l'ont fait avec Moubarak?

 Je suis contre le renversement du Président Mohamed Morsi qui a été élu démocratiquement. Ce n’est pas le but de la révolution. Mais il faut exercer des pressions pour que Morsi soit le président de tous les Egyptiens et non pas uniquement des Frères Musulmans. Depuis qu’il ait accédé au pouvoir, il s’est mis au dessus des lois, il n’en respecte aucunes.

 Pensez-vous que les Frères Musulmans ont appris les leçons des erreurs de Moubarak?

A mon avis, ils n’ont rien appris. Ils perdent chaque matin un peu plus la sympathie des Egyptiens. Si on regarde les résultats du référendum de mars 2011, on constate qu’ils étaient très populaires et écoutés dans la rue, alors qu’au référendum de décembre 2012, avec toutes les fraudes qu’ils ont organisées, presque 40 % des Egyptiens ont dit non.Ce qui est formidable, c’est de voir les Egyptiens, au bout de dix mois seulement, comprendre la différence entre les islamistes et l’islam, je pensais que cela aurait pris plus de temps.

 Est-ce que l'Egypte est en train d'être islamisée?

Impossible. L’Egypte est un pays qui possède 7000 ans d’histoire basée sur la tolérance que les islamistes ne peuvent pas effacer. En plus, l’Egypte est un Etat civil depuis le XIXe siècle.

 Comment voyez-vous le rôle et l'attitude de l'armée à l'égard de ce qui se passe ?

C’est très difficile de comprendre la position de l’armée. Il faut faire la différence entre l’armée, qui est loyale au peuple, et le Conseil Suprême des Forces Armées, qui, lui, a sûrement conclu des ententes avec les Frères Musulmans pour leur permettre d’accéder au pouvoir. Est-ce que l’armée peut faire un coup d’Etat ? C’est la grande question. Si c’est le cas, ce serait une catastrophe car cela signifierait l’échec de la révolution.

Vous étiez parmi les fondateurs du parti al-Dostour, en êtes-vous toujours un membre actif ?

C’est très compliqué. Je suis un écrivain et je veux rester libre de m’exprimer. Je refuse d’être membre d’un parti politique et je refuse d’avoir un poste dans n’importe quel gouvernement. Mon rôle dans le parti, c’est d’aider les dirigeants à établir une popularité dans la rue égyptienne. Alors on peut dire que je donne des conseils et quand le parti sera fort, je le quitterai définitivement.

YacoubianAl-Dostour se dit garant de la révolution et de l’Etat civil mais est critiqué pour son alliance avec les politiciens de l’ex-régime. Comment peut-il gagner la confiance des révolutionnaires?

Je comprends totalement ces critiques, mais il faut éclaircir deux points : premièrement Amr Moussa, l’ex-chef de la Ligue Arabe et ancien ministre des Affaires étrangères à l’époque de Moubarak, n’a jamais été corrompu. Deuxièmement, le combat actuel n’est plus entre révolutionnaires et anti-révolutionnaires. C’est un combat entre l’Egypte et les islamistes avec en première ligne les Frères Musulmans. Notre combat maintenant c’est de nous défendre, défendre la révolution et défendre le pays.

 Y a-t-il un plan frères musulmans de "liquider" leurs opposants?

Je ne sais pas, mais je peux dire que, personnellement, j’ai reçu deux menaces de mort depuis l’accession de Morsi au pouvoir. A mon avis, ils ne vont pas le faire maintenant, ce serait trop gros. Mais à long terme peut-être.

 Comment voyez-vous la nouvelle constitution?

Horrible. Les Frères Musulmans se sont emparés de la constitution. C’est eux qui ont choisi le comité chargé de la rédiger. Et ensuite ils ont fraudé le référendum sur l’adoption de la constitution. Cette dernière n’est absolument pas viable car elle ne représente que la pensée d’un seul courant politique en Egypte.

 Que pensez-vous du dernier remaniement ministériel ? Est-il en faveur de l’avenir de l’Egypte?

Ce remaniement prouve que les Frères Musulmans suivent les mêmes mesures que Moubarak lorsqu’il devait calmer le peuple : changer les têtes mais pas les politiques. La manière par laquelle les Frères musulmans voient les choses me fait penser au syndrome de Stockholm quand on se met à idéaliser son tortionnaire.

Comment voyez-vous les prochaines élections parlementaires?

Les Frères Musulmans savent qu’ils sont beaucoup moins populaires qu’avant. Pour cela, je pense qu’ils vont frauder les parlementaires. Mais les Egyptiens ne vont jamais accepter qu’on les trompe.

Comment voyez-vous l'avenir du printemps arabe avec la montée des islamistes?

 Il est normal que les islamistes soient sur le devant de la scène. Ils ont été opprimés et les peuples voulaient leur donner la chance. En plus, ils étaient la seule force organisée après la chute des régimes. Avec le temps, les peuples découvrent que les islamistes utilisent l’islam comme camouflage pour réaliser des intérêts politiques. Je suis sûr que les islamistes vont perdre à moyen terme. Et je suis sûr que la fin de l’islam politique, financé par l’argent du pétrole, commencera par le Caire.

 Que conseillez-vous aux jeunes pour réussir leur révolution?

 Mon seul conseil, c’est de ne pas accepter des compromis. Il faut que les jeunes continuent à exercer des pressions sur les politiciens afin qu’ils réalisent leurs ambitions. Depuis le 25 janvier 2011, toutes les bonnes décisions en Egypte ont été prises grâce aux pressions exercées par les jeunes dans la rue.

Article écrit pour le numéro 67 de la revue Le Courrier de l'Atlas (février 2013)

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