A la conquête du désert
Exemples de la politique de conquête des terres sur le désert en Egypte, les projets de Touchka et de l'Est d'al-Owaynat en Haute Egypte apparaissent comme une réponse, mais les avis sont partages sur les moyens de les réaliser.
Au sud du Lac Nasser, et trente années après le barrage d'Assouan, Touchka est présenté comme la "soupape de sécurité" de l'Egypte par les autorités. Le projet de Touchka permettrait de quadrupler la surface habitable du pays de 5% actuellement a 25% de la superficie de l'Egypte. Mais s'il constitue un véritable plan de développement économique pour retenir la population de Haute Egypte dans l'étroite vallée et désengorger le Delta du Nil surpeuplé, ce projet est contesté en raison des énormes quantités d'eau qu'il réclame et qui risquent d'amoindrir les réserves au nord du pays.
"Touchka n'est pas une solution prise a l'encontre de l'expansion de la vallée du Nil", assure le ministre de l'Irrigation et des Ressources en eaux, Mohmoud Abou Zeid : "Les possibilités d'exploitation des terres autour de la vallée sont prises en considération. Ainsi, un plan est actuellement en exécution pour ajouter deux millions de feddans autour de la vallée et en dehors de Touchka. Cependant, l'expansion hors de la vallée du Nil est indispensable".
Selon les estimations de la chambre américaine du commerce au Caire, le total des investissements du projet au cours des vingt prochaines années s'élèvera à 90 milliards de dollars, dont le quart doit être financé par l'Egypte et le reste par le secteur prive. Si le président Hosni Moubarak a choisi d'engager, d'ici à 2002, trois milliards de dollars de fonds public, pratiquement sans soutien international, pour bâtir le canal et la station de pompage, c'est qu'il compte bien voir le secteur privé prendre ensuite le relais.
En ce qui concerne le projet de l'est d'al-Owaynat, à 240 km à l'ouest de Touchka, il vise à cultiver 200 000 feddans (84 000 hectares) repartis dans de grandes exploitations de 14000 à 24000 feddans chacune. Depuis 1998, certains terrains ont trouve des acquéreurs, comme l'homme d'affaires égyptien Mohamad Aboul Einein, qui a initie le premier élevage d'autruches du pays. L'irrigation y est entièrement dépendante de 62 puits. L'Etat a déjà investi 103 millions de L.E. dans le projet, consacrées aux infrastructures.
Rationalisation de l'eau : Dans tous les cas, les besoins en eau sont un des problèmes clefs. Pour que l'Egypte puisse vaincre le manque d'eau issu des systèmes traditionnels d'irrigation, le ministère de l'Irrigation a présenté l'année dernière au gouvernement un plan à long terme. Ce plan est axé sur trois points fondamentaux concernant le rationnement et l'usage de l'eau disponible : l'amélioration du système d'irrigation, le changement de la structure agricole et le recyclage des eaux usées. Tout cela serait susceptible d'apporter vers l'an 2017 une quantité d'eau supplémentaire de huit milliards de m3. En outre, le plan vise à accroitre le pompage des eaux souterraines de quatre milliards de m3 actuellement a sept milliards de m3. "Dans les contrats d'exploitation des terrains de Touchka, il y a une clause qui stipule que le propriétaire prendra en charge les couts d'alimentation en eau, fixés à 350 L.E. le feddan", indique m. Abou Zeid. "D'autre part, nous les encourageons à faire un usage rationnel de l'eau, en leur accordant une baisse de prix si la consommation est réduite".
Engrais chimiques ou naturels : Quant à la question du genre des engrais qui seront utilisés pour cultiver les nouvelles terres, Gilles Fèdières, chercheur a l'Institut français de Recherche scientifique pour le Développement en coopération (IRD, ex-ORSTOM) indique que "les engrais chimiques ne sont pas dangereux pour la santé de l'homme s'ils sont utilisés d'une manière bien étudiée. Le danger réside dans les insecticides chimiques. C'est pour cela qu'il faut recourir aux insecticides naturels, comme les virus et les bactéries qui ne s'attaquent qu'aux espèces parasites".
Pourtant, certains citoyens affirment que l'eau possède parfois une odeur et un gout qui évoquent le fameux DDT. Le président des services de l'eau Hussein al- Chahaoui précise qu'un échantillon de l'eau du Grand Caire est examine chaque heure à travers 13 stations de contrôle et que les résultats sont toujours négatifs. Il ajoute que ce phénomène se répète chaque année à l'occasion de la réduction du débit du Nil, qui favorise la dissolution de certaines plantes et leur réaction avec le chlore.
Hormis ce cas sujet à polémique, un chercheur de l'IRD, qui a requis l'anonymat, précise que pour ne pas affecter l'environnement il faut s'assurer que n'importe quel élément ajouté va subir une opération de biodégradation, afin qu'il ne contamine pas d'autres milieux. Et d'indiquer que les produits chimiques utilisés pour la fertilisation des terres détruisent l'environnement, ce qui nécessite le recours aux engrais organiques comme les déchets d'animaux. En ce qui concerne le transfert des limons du Nil, accumulés dans le Lac Nasser, pour enrichir le lit du fleuve et pour bonifier les terres de sa vallée, les responsables de l'IRD assurent que "théoriquement il est possible, mais que le problème réside dans le financement d'un tel projet".
Enjeux écologiques de la fertilisation des terres : Si l'agriculture représente la base de l'économie de l'Egypte, ce secteur économique est malheureusement conditionné par certains aspects négatifs de l'expansion agricole. D'une part, la migration considérable de la population vers les zones agricoles, ce qui réduit d'une manière continue la surface cultivée déjà limitée à six millions de feddans. D'autre part, la situation géographique de l'Egypte qui se situe par définition dans la zone aride avec un système d'irrigation artificielle de capacité limitée dans la zone étroite de la vallée du Nil et de son delta.
Les ambitieux projets actuels, s'ils sont indispensables au développement du pays, n'en sont pas moins difficiles et couteux à réaliser, alors même qu'ils feront peser le coup sur de nouvelles menaces sur l'environnement.
Article écrit pour Le Calame, journal de la filière francophone de journalisme supervisée par le CFPJ, l'IFP et la Faculté de communications de l'Université du Caire